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Les villes du futur : une vision alternative

Certains d’entre vous l’ont probablement remarqué, même si le déclin est graduel : les commerces de nos villes sont en souffrance.

Le fossé entre les enseignes de luxe et celles à bas prix se creuse, entraînant la disparition progressive des commerces individuels et du segment intermédiaire dans de nombreuses villes. Nous sommes de plus en plus confrontés à un choix binaire : le grand luxe ou les prix extrêmement bas, les deux étant de manière générale représentés par des chaînes internationales dominantes.

Alors que les grandes marques de luxe mettent l’accent sur la qualité supérieure pour soigner leur image, les enseignes de production et de distribution de masse instaurent une normalisation des prix bas et une abondance de choix dans nos esprits. Cette tendance est encore renforcée par la prochaine étape : le “commerce en ligne”.

Qui en profite?

Citons d’abord les “nouveaux” consommateurs : ceux qui sont à la recherche des prix les plus bas et d’une offre illimitée et du confort d’effectuer leurs achats à toute heure et en dehors des horaires traditionnels des commerces locaux.

Les grands profiteurs de ce changement de comportement du consommateur, accentué depuis la période du Covid, sont les mastodontes de la distribution en ligne. Experts en logistique, ils opèrent dans un cadre bien différent que le commerce réel: ils bénéficient de la masse critique nécessaire et sont affranchis des contraintes et des coûts qui pèsent sur le commerce physique. Chaque année, ils affichent des bénéfices records, renforcés – de par leur pouvoir financier dans la négociation – par des avantages fiscaux inaccessibles aux commerçants locaux. Rappelons nous de LuxLeaks, en 2014, ayant mis en lumière les accords fiscaux conclus avec des géants comme Amazon, FedEx, et PepsiCo et bien d’autres groupes géants, souvent américains. Bien que ces arrangements aient pu procurer un avantage budgétaire temporaire au pays, il semble de plus en plus clair que le pouvoir et les stratégies commerciales de ces groupes ont un impact néfaste sur le commerce local à moyen et long terme.

L’enjeu

Désertification urbaine et standardisation de l’offre

Les commerces individuels, accablés par des frais exorbitants pour des espaces limités, une diminution des ressources locales et des contraintes administratives chronophages sont sur le point de céder.

Les propriétaires de locaux commerciaux, confrontés à des coûts croissants liés à la conformité réglementaire, n’arrivent plus à répercuter ces charges supplémentaires sur les commerçants. De nombreux propriétaires préfèrent sacrifier des revenus locatifs plutôt que de réduire leurs exigences financières ou de réaliser les investissements nécessaires. Résultat : une dépréciation de la valeur de leurs biens immobiliers et une désertification des centres-villes accentuant la baisse de la valeur.

Nos normes sociales sapées

Chaque chose a son prix et lorsque le consommateur final profite de tarifs particulièrement avantageux, ce coût est externalisé sur d’autres. En optant pour des produits bon marchés venant de contrées lointaines, nous ignorons souvent leur véritable impact écologique, éthique et social, notamment les conditions de travail parfois précaires, voire impliquant le travail des enfants. Cette pratique mine nos propres normes sociales, révélant une forme d’hypocrisie sous-jacente dans nos choix de consommation globale.

Impact sur la santé et l’environnement

Voici deux exemples illustrant les conséquences personnelles de la consommation à bas prix :

Nutrition : Les aliments industriels, riches en sucres et pauvres en nutriments, incitent à consommer davantage en quantité pour compenser le manque de qualité dont notre organisme a besoin. Le véritable coût en est notre santé.

Mode : Dans l’univers du “fast-fashion”, où de nouvelles collections sont lancées à un rythme effréné, nous sommes constamment encouragés à suivre les dernières tendances. Les vêtements fabriqués dans ces conditions polluent nos eaux avec leurs fibres et teintures, souvent produits dans des pays lointains où les conditions de travail sont précaires. Cette culture de la surconsommation génère des produits “jetables” qui manquent de valeur et de durabilité, posant finalement un défi majeur en termes de gestion des déchets à l’échelle mondiale.

Là où l’ombre existe, la lumière n’est jamais loin

Le succès de nos villes et de notre économie nationale reposera sur un effort collectif.

Politique nationale

Promouvoir le commerce local dans une économie libre et non centralisée représente, en effet, un défi délicat. Avec des budgets marketing de certains géants économiques dépassant le produit national brut de notre pays entier, les marges de manœuvre de nos dirigeants politiques locaux sont, en plus, limitées.

Or, surtout dans un petit pays comme le nôtre, cette promotion pourrait se faire via des initiatives de simplification et de centralisation structurelle. Parmi les pistes envisageables :

  • la centralisation et la mise en œuvre de la notion de service au sein des administrations (par exemple : attribution d’un conseiller dédié par commerçant, s’occupant à son tour de toutes les démarches nécessaires) ;
  • la coordination claire avec les chambres pour organiser les besoins spécifiques des commerces ;
  • la mise en place de subventions pour les initiatives locales et durables ;
  • l’implémentation d’un système de seuils pour les loyers et de pénalisation pour les locaux vides au niveau communal tout en allégeant, voire subventionnant les contraintes de mise en conformité exagérées pour les propriétaires ;
  • la réduction de la bureaucratie et un retour au pragmatisme, donc une amélioration de l’efficacité au sein des départements ;
  • la promotion de l’entrepreneuriat ;
  • des campagnes de communication ciblées.

La prise de conscience consommateur

Les petits commerces, faute de masse critique, manquent du pouvoir de négociation nécessaire au niveau des prix d’achat ou des loyers. Comparer les grands groupes internationaux, y compris le commerce en ligne, au commerce individuel revient donc à comparer des poires à des pommes. Reconnaître que le commerce local est soumis à des coûts différents de ceux des grands groupes est un premier pas précieux. Si nous souhaitons voir des commerces individuels et variés dans nos villes, acceptons donc les réalités spécifiques du terrain. En privilégiant la qualité sur la quantité, nous découvrirons de nombreux avantages inattendus.

Une approche “contrarian” pour les commerçants

Les commerçants sont aujourd’hui confrontés à un bouleversement majeur de leur activité. Face aux tendances actuelles de la digitalisation et l’intelligence artificielle, les modèles commerciaux des années 80 sont révolus ; aujourd’hui, ceux qui réussissent sont ceux qui proposent quelque chose d’unique : qualité, service, originalité dans la sélection, et surtout, ce lien humain essentiel que les géants en ligne et l’intelligence artificielle ne peuvent pas offrir. Les commerces de demain seront ceux qui dépassent le simple rôle de points de vente pour adopter une approche durable, responsable et centrée sur l’humain.

La responsabilité des propriétaires immobiliers

Aujourd’hui, ce sont les loyers élevés au Luxembourg qui étouffent le commerce individuel. Les propriétaires de locaux commerciaux jouent ainsi un rôle crucial dans la vitalité des zones urbaines. En adoptant des politiques locatives plus flexibles à court terme, comme par exemple des loyers liés aux chiffres d’affaires réalisés, ils ont un pouvoir considérable pour contribuer à la prospérité et à la sécurité des villes, tout en renforçant la valeur à long terme de leur propriété.

Quel type de ville et de société voulons-nous laisser à nos enfants ?

Souhaitons-nous des villes désertées, rappelant les décors de films de Western, où seules les bottes de paille virevoltent dans les rues, ou des zones uniformes dominées par des chaînes internationales omniprésentes ?

Ou bien, préférons-nous des centres-villes dynamiques, animés par une diversité de commerces locaux et des lieux de rencontre chaleureux ?

Ensemble, nous avons le pouvoir de façonner les villes du futur. Redevenons, dès aujourd’hui, maîtres de nos choix et bâtissons des communautés vivantes.

Chacun d’entre nous détient une part de la solution. Alors, qu’attendons-nous ?

www.dynergie.lu

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